Anvers et contre tout

Publié le par Jissey.Moro

 

Que faire ? Tu es parti la tête à l'envers à Anvers. Tu voulais photographier les docks, te perdre dans ces rues qui soufflent le Nord. Et puis voilà! Tu as oublié ton numérique. Tu es tout nu. Foutu. Comme si tu ne pouvais regarder la ville, la vivre, la sentir qu'au travers de cadrages successifs. C'est peut-être pas faux, d'ailleurs Tu te souviens plutôt plus facilement des images des choses que des choses elles-même, comme si l'attention suscitée par le cadrage, la sélection, te permettait de fixer l'instant. Donc pas d'appareil photo digne de ce nom, Pas de photos ? Mais tu as emporté ton téléphone portable. Ce n'est pas pareil. Justement. Tu joueras donc de cette faiblesse, et avec celle-ci. D'abord des grues à l'abandon. Destinées à la destruction, elles attendent. Elles te touchent à de multiples niveaux ; Surgies du passé ? Ces grues tu les as vues, tu ne les verras plus. Elle vont être fondues. Leurs cousines, naguère balançaient leurs crochets dans le vent des berges de la Garonne à Bacalan. La griffe de leurs flèches qu'enfant, tu essayais de suivre dans le ciel avec une impression curieuse
de basculer dans le vide, une sorte de vertige. Aujourd'hui tu les regardes
collées les unes aux autres, bêtes décharnées, éviscérées, un peu girafes, un peu cigognes. Le sculpteur anglais, Henry Moore, ramassait des ossements, dont il s'inspirait pour créer ses oeuvres, laissant au spectateur le soin d'imaginer
la chair et l'enveloppe qui pourraient couvrir ses créatures...
A force de se tordre le cou au pieds de ces géantes rouillées tu te délasses les vertèbres en 
profitant de leur reflet à tes pieds. Le granit des pavés  uni par des joints d'eau
que les rafales perturbent  secoue le métal dans des spasmes éphémères. Tu hésites au fil des averses entre le noir et blanc et des lumières d'apocalypse.
 
  La nuit proche te pousse vers un parc immense.
Lumière diaphane d'après la pluie. Tout vibre, tout murmure. Parmi quelques joggers attardés, trois danseuses de bronze chuchotent entre elles. En t'approchant de très très près
tu les entends se révéler des secrets de jeunes filles puis se promettre en éclatant de rire  que jamais, au grand jamais  cela ne sortira du parc.
D'ailleurs,

  personne ne compte sur toi pour les trah
ir. Mais puisque d'Anvers aussi il faut partir, tu te trouves à la gare. Maintenant tu n'es plus à l'extérieur du squelette
comme face aux grues. Tu te trouves dans la bête. Tu as croisé un schtroumpf immense que tu pensais avoir capturé dans ton téléphone portable, mais il s'est échappé. L'optique sommaire de ton outil  joue un peu à l'oeil de boeuf. Mais après tout pourquoi pas ? La prochaine fois tu penseras à prendre ton appareil photographique.


Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
Appareil téléphonique portable mais pas jetable. j'aime bien l'effet de la 2è série.
Répondre